Nouvelle Ère – Émergence – Chapitre 2

Arlington, USA, Février 2006

Wiggins n’eut pas à attendre longtemps :

« Voulez-vous me suivre s’il vous plaît ? Il vous attend. »

C’était bien la première fois que Grisham le recevait aussi vite, constata-t-il, sarcastique, alors que les portes du bureau devenu familier se refermait derrière lui. Situé au cinquième étage de la façade nord-ouest du Pentagone, le service dévolu au chef d’Etat-Major interarmées en occupait la quasi-totalité. Une équipe restreinte disait-on sans ironie aucune : certains des prédécesseurs de Grisham avaient jugé nécessaire de s’entourer d‘un nombre de conseillers plus consistant au point de déborder sur les étages inférieurs.

Le militaire aux quatre étoiles – son patron sut se rappeler Wiggins – était installé derrière sa table de travail, son parapheur ouvert devant lui.

« Asseyez-vous. »

Il avait à peine levé un œil dans sa direction. Avec une inclination de la tête mais sans un mot, le directeur adjoint de la NSA s’installa dans l’un des fauteuils club en cuir patiné par les années qu’affectionnait le vieux général. Ce dernier mettait un point d’honneur à conserver une atmosphère certes surannée mais propice aux échanges dans son bureau, en dépit du modernisme galopant qui transformait le Pentagone pour le faire entrer dans le vingt-et-unième siècle avec le moins de retard possible. Un attitude positive à mettre au crédit de Grisham. Et sans doute la seule, au regard de tout ce qui caractérisait le bonhomme par ailleurs.

La raideur dans la posture du général semblait s’être accentuée alors qu’il prenait place face à Wiggins qui se demanda s’il fallait en incriminer son âge ou son humeur du jour. Sûrement un peu des deux, alors que d’un geste sec, Grisham expédiait son enseigne – à peine si Wiggins avait pris note de sa présence silencieuse au garde à vous près de la porte – en quête du café noir qu’il affectionnait.

« Alors ? Commença-t-il sans autre préambule.

Ils n’en savent pas plus que nous. Je dirais même, qu’ils en savent encore moins.

Et vous les avez crus ? »

Wiggins choisit de ne pas relever la note de dédain contenue dans la question.

« Je pense qu’il a dit la vérité. »

Grisham se laissa aller à appuyer son dos contre le dossier du fauteuil, ses doigts croisés devant lui. Il esquissa un sourire froid :

« Et votre agent, qu’en a-t-il pensé, lui ? »

Il aurait dû s’en douter. S’exhortant cependant à ne rien laisser paraître, Wiggins répondit d’une voix neutre :

« Saga Antinaïkos a tenté de l’intimider ainsi que notre confrère de la CIA, c’est un fait. Néanmoins, leur avis à tous les deux est celui sur lequel je me repose : ils sont convaincus de la bonne foi du Sanctuaire. Malgré l’impressionnante maîtrise de soi de cet homme, il n’a pas pu dissimuler sa surprise à l’énoncé de la situation. Ce n’est pas eux », rajouta Wiggins devant le silence dubitatif de son interlocuteur.

Il n’avouerait pas – pas tout de suite en tout cas – qu’en dépit de la distance entre la salle où le dirigeant du Sanctuaire avait été interrogé et le bureau exigu d’où il avait assisté à l’entretien par le biais de caméras et micros interposés, il avait, lui aussi, expérimenté la puissance qui se dégageait de l’homme en question. D’abord parce qu’il avait vu les deux agents s’y soumettre bien malgré eux, et ensuite… Il étira ses doigts sur l’accoudoir, pour s’empêcher de planter ses ongles dans sa paume une fois de plus : la douleur tendait à le ramener à des considérations un peu plus réalistes. L’espace de quelques instants, il avait eu le sentiment tenace de plier à son tour sous son joug, avec l’impossibilité totale de s’en affranchir. Mais comment ? Que cet homme se sût observé, soit. Les caméras dans la pièce n’étaient pas dissimulées. Mais de là à ce qu’il sût depuis où, et par qui…

« Et moi je pense que vous vous trompez. »

La sécheresse dans le ton du général le ramena brutalement sur terre et il répliqua aussitôt :

« La seule raison, plausible, pour laquelle ils auraient voulu dérober le journal du général Corman serait d’empêcher qu’il soit utilisé par un tiers, ceci afin de maintenir leur anonymat. Or, ne serait-ce pas également dans notre intérêt ? – Wiggins avait penché la tête de côté, observant Grisham avec une attention plus soutenue – N’êtes-vous pas d’accord avec cette analyse, mon Général ?

Wiggins, si vous n’étiez pas si jeune, je dirais qu’autant de simplisme sied mal au poste auquel on m’a forcé de vous nommer. Aussi allons-nous plutôt invoquer votre naïveté ? »

Sans tenir compte de la soudaine crispation de Wiggins, Grisham poursuivit sur le même ton paternaliste :

« Nous, les États-Unis d’Amérique, avons fait appel au Sanctuaire pour juguler une menace sur notre sol.

Une menace qui concernait l’humanité tout entière, objecta Wiggins, et c’est l’ONU qui…

Ne m’interrompez pas – le ton était glacial – Parce que nous n’avons pas eu le courage d’appliquer les mesures qui s’imposaient, nous avons été obligés de nous en remettre à un appui extérieur sur lequel nous n’exerçons et n’avons jamais exercé qu’un contrôle très relatif, pour ne pas dire aucun. Ce faisant, nous avons conféré à ces gens un pouvoir qu’il peuvent exercer à notre encontre. Un pouvoir sans limite. Comprenez-vous ? »

Wiggins acquiesça en silence.

« Je sais ce que vous vous dites : ce n’est pas la première fois que le Sanctuaire vient ainsi au secours de notre monde. Par ailleurs, il ne se mêle pas des affaires “courantes” et n’a jamais rien trahi des accords successifs passés entre lui et nos gouvernements, quels qu’ils aient pu être au fil des siècles. Tout cela vous le savez parce que vous l’avez lu dans le dossier qui vous a été remis lors de votre prise de poste, ce même dossier qu’on a déjà remis des dizaines de fois à tous ceux qui vous ont précédé, qui n’en ont jamais remis le contenu en question et l’ont tenu pour acquis. Comme vous, qui semblez tout prêt à suivre le même chemin balisé et confortable. Et dire qu’on m’a vendu votre profil comme celui d’un des plus brillants représentants de sa génération, au raisonnement et aux idées novatrices, adaptées à notre monde moderne… Restez assis ! » Tonna Grisham alors que Wiggins faisait mine de se lever : il en avait assez entendu.

Ce n’était pas la première fois que Grisham lui témoignait aussi ouvertement son mépris. De son point de vue, confier le poste de directeur adjoint de la NSA à un homme de moins de quarante ans relevait de l’hérésie et il ne s’était pas privé de le faire savoir jusqu’au Président qui avait pourtant lui-même contresigné sa recommandation. Mais au-delà de cette aversion qu’il avait développée à l’égard de Wiggins et de son parcours, le vieux général n’avait jamais accepté la règle qui voulait que la direction de la NSA soit assurée de manière conjointe par un militaire et un civil. Aussi prenait-il un malin plaisir à le faire payer à Wiggins comme à chacun de ces prédécesseurs.

Ignorant l’ordre donné, Wiggins désigna son manteau à l’enseigne revenu avec le café qui, déstabilisé, hésita : il était au service du général Grisham et celui-ci ne lui donnait aucune instruction en ce sens, se contentant d’observer Wiggins planté au milieu de la pièce et qui se refusait à lui rendre son regard.

« Mon manteau, s’il vous plaît. » Se résolut-il à demander à haute voix et l’enseigne finit par s’ébranler, sur un signe que le directeur adjoint de la NSA ne vit pas, mais devina sans peine.

« Savez-vous ce qu’est cet homme, Wiggins ? »

Déjà debout et la main sur la poignée de la porte, l’interpellé se figea, avant de se retourner lentement vers Grisham qui n’avait pas bougé et le contemplait depuis son fauteuil :

« Cet homme, ce Saga Antinaïkos, a assassiné son prédécesseur afin de prendre sa place. D’aucuns racontent qu’il lui a arraché le cœur. Littéralement. Avec sa main. Et qu’il l’a broyé, comme ça. »

Les doigts du général s’étaient dressés et se refermèrent brutalement pour se transformer en un poing qu’il reposa sur son accoudoir.

« La force de son ambition est telle qu’il a, à la même époque, banni son frère jumeau, maté sans le moindre état d’âme une révolte organisée par quelques adolescents et fait exécuter le mentor de l’un d’entre eux sous les yeux de celui-ci. Les Portes, cette menace récurrente à l’encontre de l’humanité depuis que le monde est monde et contre laquelle le Sanctuaire a vocation de se dresser, n’avaient plus été vaincues depuis des siècles. Mais cet homme, lui, a réussi. Lui, et ses semblables dont tous nos analystes semblent s’accorder sur le fait qu’ils sont très certainement les êtres les plus puissants ayant jamais constitué l’armée du Sanctuaire. Alors je vous le demande, Wiggins : croyez-vous sincèrement qu’un tel homme, avec de telles forces à sa disposition, va se contenter de rester dans l’ombre, à l’instar de ses prédécesseurs ? »

Grisham leva le menton pour détailler Wiggins de haut en bas, puis de bas en haut de ses petits yeux noirs profondément enfoncés dans leurs orbites :

« Que le contenu du journal de cet imbécile de Corman soit dévoilé au monde, et c’est notre faiblesse qui sera servie à la table de nos ennemis. Notre incurie et notre lâcheté. Le Sanctuaire n’aura plus qu’à se repaître de nos restes, avant de se rendre compte que les convives feraient des plats tout aussi appétissants. Et en moins de temps qu’il n’en faudra à l’histoire pour le consigner, le monde deviendra leur marionnette. Nous ne pourrons plus alors compter que sur Dieu pour nous sauver. »

Le silence, lourd, ne fut perturbé que par la tasse vide que Grisham reposa sur sa coupelle, le tout prestement escamoté par son enseigne, trop heureux de se découvrir une occupation.

« Vous avez parlé “d’aucuns”, dit lentement Wiggins au bout d’une longue minute. Qui ? Des hommes à nous ? Positionnés au Sanctuaire ? Ces informations au sujet de Saga Antinaïkos ne sont pas consignées dans le dossier qui m’a été remis.

Secret défense : je ne suis pas habilité à vous répondre sur ce sujet. Mais vous pouvez toujours demander au Président, si vous y tenez. »

Wiggins n’en ferait rien, et ils le savaient tous les deux.

« Poursuivez votre enquête, ordonna Grisham en se levant à son tour pour passer derrière son bureau recouvert en son centre d’un rectangle de cuir épais de couleur bronze sur lequel il posa le bout de ses doigts osseux. Et transmettez-moi tout élément ou indice que vous seriez encore en mesure de retrouver sur les lieux.

Et si nous ne trouvons rien de plus ? »

Car Wiggins en était d’ores et déjà certain : il n’y avait plus rien à collecter. Tout, absolument tout avait été passé au peigne le plus fin qui existât à ce jour en terme de police scientifique : ni empreinte, ni ADN, ni poussière. Rien.

« Alors il nous faudra savoir que ce journal contient.

Je croyais que c’était déjà le cas ? – Wiggins ne cherchait même plus à masquer son étonnement : il avait épuisé ses maigres réserves en matière de jeu de dupes pour la journée – Le général Corman a outrepassé ses prérogatives pour accéder à des documents classifiés des archives du Pentagone, et relatifs au Sanctuaire. Certes, nous ne savons pas exactement quelles informations il a retranscrites dans son journal, mais nous pouvons en évaluer la valeur et la dangerosité en examinant les documents en question. A cet effet, j’ai d’ailleurs établi une demande de déclassification temporaire que mon service vous soumettra dès que…

Le général Corman n’a pas été le seul sanctionné, le saviez-vous ?

Oui. Le caporal Thomas J. Orwell qui lui servait d’assistant a été réaffecté et envoyé au front, en Afghanistan. Aux dernières nouvelles, il y est toujours.

Faites-le revenir. Discrètement. S’il y a une personne en particulier qui est à même de connaître en détail le contenu de ce journal, c’est lui. Prévenez-moi dès qu’il aura atterri sur notre sol, précisa encore Grisham en s’asseyant dans son siège et en reprenant son stylo. Vous pouvez disposer. »

Les portes du bureau se refermèrent dans le dos de Wiggins comme elles s’étaient ouvertes. Sans bruit. Et le directeur adjoint de la NSA de repartir vers les ascenseurs, dûment muni de ce qu’un officier aurait qualifié d’ordre de mission et avec l’impression tenace de n’être rien de plus que le bouffon du roi.

Asgard, Norvège, Février 2006

L’épais tapis qui recouvrait le sol du couloir menant aux appartements privés de la souveraine d’Asgard étouffait les pas de Freyja. Seul le froissement discret des pans de l’ample jupe qui s’enflait autour de ses chevilles accompagnait sa démarche rapide. Elle n’y prêtait cependant aucune attention : le silence s’était installé dans le palais depuis trop longtemps pour que tous les sons qui ne sortaient pas de l’ordinaire finissent par être rangés dans la vaste armoire des habitudes.

Pas une seule fois elle ne leva les yeux vers les portraits qui jalonnaient un parcours qu’elle connaissait par cœur. Elle aurait pu désigner et identifier tel ou tel visage si on le lui avait demandé, tout en leur tournant le dos ; ce jeu, qui l’avait vue gagner plus souvent qu’à son tour face à sa sœur aînée n’avait plus cours depuis belle lurette. Et le passage de l’enfance à l’âge adulte n’en était pas l’unique raison.

A peine jeta-t-elle un regard au travers de la fenêtre qui, depuis la coursive, donnait sur la cour d’honneur de la vénérable bâtisse. Elle n’y verrait sans doute rien qui pût éveiller son intérêt, comme hier, et vraisemblablement comme demain. Mais alors qu’elle achevait de traverser le halo grisâtre projeté par le soleil d’hiver affleurant l’horizon contre le mur de grès sombre, elle marqua un temps d’arrêt et fit deux pas en arrière. Un cheval, qui n’aurait pas dû se trouver là à cette heure, attendait patiemment son cavalier devant les deux gardes impassibles postés devant les grilles séparant le domaine du Palais du reste d’Asgard. De toute évidence, un visiteur s’était présenté tantôt et avait obtenu l’autorisation de pénétrer dans l’enceinte. Mais quel étranger, en cette saison, se serait aventuré jusqu’ici ? Sans qu’elle en fût informée ?

« Bonjour Freyja. »

La jeune femme sursauta et ses mains, qu’elle avait refermées sur les pans de sa veste en laine afin de mieux l’arrimer à ses épaules, retombèrent lorsqu’elle avisa le visage de celui qui venait de lui adresser la parole :

« Alexei ?

Surprise ?

Oh, je… »

Le regard de l’homme, aussi délavé que les cheveux blancs qui dévalaient son dos en longs rubans lisses, la scrutait avec cette même intensité à laquelle elle n’avait jamais réussi à s’habituer et elle se détourna comme pour s’assurer que rien ne le suivait depuis l’autre extrémité du couloir :

« Je ne vous avais pas entendu arriver. Que nous vaut le plaisir de votre visite ? »

L’effet de surprise passé, Freya s’était redressée, un sourire gracieux plaqué sur ses traits. Alexei l’avait toujours mise mal à l’aise mais dans le même temps, il ne manquait pas de lui témoigner une courtoisie méticuleuse, ainsi qu’à tous les habitants de l’enclave. Et dans tous les cas, il n’avait jamais dit ou fait quoi que ce fût qui, objectivement parlant, aurait pu l’inciter à lui battre froid.

« Je vais devoir m’absenter pendant un certain temps mais je ne voulais pas partir sans saluer votre sœur ni avoir revu la petite.

Elle sera très heureuse de vous voir, répondit Freya avec une légère inclinaison de la tête. Elle demande souvent après vous. Je reviens justement de ses appartements : elle est en train d’apprendre ses lettres avec Pia. Peut-être souhaitez-vous que je vous accompagne ?

Merci pour cette aimable proposition mais ce ne sera pas utile, je m’en voudrais de vous faire perdre votre temps. Et puis, je connais le chemin.

Vous partez, avez-vous dit ? »

Freyja n’était pas très grande mais elle ne s’empêchait pas, le menton levé, de dévisager ouvertement son interlocuteur avec une franche curiosité. Alexei Roudnikov, malgré sa haute taille, son regard glacé et le malaise qu’il lui inspirait, ne l’intimidait cependant pas. Celui-ci esquissa un sourire mince qui resta cantonné à ses lèvres toutefois :

« En effet. Le devoir m’appelle, répliqua-t-il sobrement sans paraître remarquer le sourcil interrogateur de Freyja. Vous voudrez bien saluer Hagen de ma part ? Je n’aurai sans doute pas l’occasion de le croiser avant mon départ. »

Et l’homme de lui adresser un dernier sourire aussi froid que le précédent avant de s’incliner brièvement puis de tourner les talons.

« Ce sera fait », murmura Freya lorsqu’elle fut sûre qu’il ne pouvait plus l’entendre. Songeuse, elle le regarda disparaître à l’angle du couloir qui donnait sur les escaliers menant à l’étage inférieur et écouta la rumeur de ses pas étouffés diminuer jusqu’à ce que le silence familier retombât enfin.

* * *

« Hilda ?

Freyja ! Entre, entre vite ! »

La plus jeune obtempéra, refermant aussitôt la porte du bureau de son aînée. Comme d’habitude, la pièce était surchauffée, à la fois par le grand feu qui crépitait dans l’âtre et par les murs dans l’épaisseur desquels courait l’une des multiples sources chaudes canalisées lors de la construction du palais afin d’y assurer une atmosphère clémente en toutes circonstances en dépit de la rudesse du climat. Mais ce qui avait su témoigner de son utilité jusqu’à un passé encore récent n’en avait plus vraiment, au point que le foyer rougeoyant dont le souffle lui parvenait depuis l’autre bout de la pièce était clairement de trop du point de vue de Freyja qui se garda néanmoins de tout commentaire.

Laissant glisser sa veste de ses épaules, elle la remisa sur le dossier d’une des hautes chaises face à la table de travail de sa sœur, qui achevait de classer une pile de documents dont Freyja reconnut la nature administrative – et assommante – du premier coup d’œil.

« On a reçu les relevés des contributions ?

Oui, enfin, répondit Hilda d’une voix distraite tandis qu’elle parcourait l’un des feuillets avant de se lever pour aller le ranger avec ses semblables dans un tiroir muni de chemises de classement.

Et alors ?

On devrait avoir assez pour tenir jusqu’en octobre prochain.

Pas plus ? »

L’aînée des Polaris s’immobilisa, avant de redresser les épaules et de se tourner à demi vers Freyja :

« Non, pas plus. Tu t’attendais à autre chose, peut-être ? »

Le ton cinglant de sa sœur vit la jeune femme se tasser sur son siège avant qu’Hilda ne reprît, avec une douceur contrite :

« Excuse-moi, je n’aurais pas dû te répondre ainsi. C’est juste que… cette situation ne me fait pas plus plaisir qu’à toi.

Je sais. Et c’est à moi de te présenter mes excuses, je n’ai pas réfléchi. »

Elles se sourirent et le cœur de Freyja se gonfla de tendresse en avisant le regard redevenu doux et bienveillant posé sur elle. Les inquiétudes de Hilda n’étaient pas nouvelles et se renforçaient d’année en année ; pas étonnant qu’en dépit de la maîtrise d’elle-même que la dirigeante d’Asgard s’efforçait de maintenir en toutes circonstances, l’aggravation continue de la situation, parfois, la vît céder à la frustration et à l’impuissance.

« Une fois de plus, les Megrez sont les pourvoyeurs les plus importants, soupira Hilda en revenant vers son bureau derrière lequel elle s’installa, ses bras blancs mis à nu par l’étoffe souple des manches qui s’écartèrent à hauteur de ses coudes. Quoi qu’on puisse penser à leur sujet, ils ont su anticiper la situation mieux que n’importe lequel des autres clans. Le nôtre y compris.

Leur poids va se renforcer au Conseil.

En effet. Et je ne sais vraiment pas, cette fois, ce qui ressortira du prochain vote. »

Le sujet n’avait plus été abordé depuis trois ans mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il n’occupait pas les esprits. La dernière fois, les Polaris avaient pu conserver leur siège mais de justesse. Il n’avait manqué que quelques voix pour que la situation basculât en faveur des Megrez, ces quelques voix qu’Albérich, héritier en titre, n’avait pas réussi à rallier. Ou pas eu le temps. Dans les deux cas, ce n’était que partie remise : la voie était toute tracée et les quelques efforts qui restaient à fournir n’étaient pas de nature à freiner l’ascension irrésistible de la famille la plus riche d’Asgard.

« D’autant plus que je vais devoir, une fois de plus, appeler le Sanctuaire à l’aide. »

L’amertume contenue dans les mots de sa sœur fit naître deux petites rides entre les sourcils fins et blonds de Freyja qui baissa les yeux. Plus encore que la perspective de l’élection prochaine, la nécessité devenue vitale au fil des années d’avoir recours à la générosité du Sanctuaire – ou plus exactement de la famille Antinaïkos – pour survivre tendait à altérer l’humeur d’Hilda de moins en moins subtilement d’année en année. Et pas seulement la sienne. Sa cadette elle-même n’appréciait guère cette idée tout en sachant qu’en l’espèce, aucun autre choix n’était laissé à son peuple. Or Freyja était une Asgardienne. Elle avait sa fierté, comme sa sœur et comme tous ceux et toutes celles qu’elle côtoyait au quotidien, depuis l’honorable seigneur de clan jusqu’au plus humble de leurs paysans. L’idée de devoir dépendre d’autrui sans autre alternative était une plaie béante à l’âme de tout un peuple que nul ne savait guérir.

« Enfin, laissons là ces considérations pour le moment ! Comment va Oksanna ?

Toujours aussi bien. Elle était toute heureuse de m’annoncer qu’elle sera bientôt presque aussi grande que Pia qui a pourtant un an de plus, sourit Freyja, amusée. C’est vrai qu’elle grandit vite ! Et sinon, elle m’a donné ceci. »

Et Freyja de sortir de la poche de sa veste une feuille pliée en quatre qu’elle déploya bien à plat sur le bureau. Hilda sourit, avant d’éclater d’un rire franc, bientôt imitée par sa sœur :

« C’est très… artistique !

N’est-ce pas ? Le principal étant tout de même que nous soyons parfaitement reconnaissables – Freya reporta son regard azuréen et doux sur le dessin, qui figurait deux silhouettes humaines plus ou moins bien proportionnées et revêtues de ce qui tenait lieu de robe de princesse aux yeux d’une petite fille de cinq ans – regarde, ces grands traits gris pour tes cheveux…

— … et ces gribouillis jaunes pour les tiens !

Je ressemble à un tournesol ! Renchérit Freyja, hilare avant d’être gentiment corrigée par sa sœur :

Mais tu es un tournesol : une belle fleur gorgée de soleil dans notre monde trop gris.

Hilda… »

Freyja affecta une moue de dédain mais ses joues s’étaient colorées d’un rose discret, et son aîné rajouta avec douceur :

« Cette enfant t’aime beaucoup, tu sais.

Pas seulement moi – Freyja lui adressa un clin d’œil complice – tu fais tout autant partie de son monde désormais, tout comme Pia, la gouvernante et les servantes… C’est normal qu’elle se soit attachée à des figures familières au cours de ces quatre derniers mois.

Mais je suis sûre qu’elle en préfère certaines à d’autres.

Tu veux bien arrêter, oui ! »

L’aînée des Polaris eut de nouveau un rire, tout en esquivant la pichenette que sa sœur tint absolument à lui asséner par-dessus la table.

« Allons-nous commencer une collection dans ce cas ? Finit-elle par proposer en repliant soigneusement le dessin et en le rendant à Freyja.

Pourquoi pas ? Du moins, si elle reste assez longtemps avec nous pour ça. »

Hilda haussa un sourcil comme sa cadette, soudain, se rembrunissait.

« J’ai croisé Alexei tout à l’heure. »

L’aînée avait hoché la tête mais déjà Frejya poursuivait :

« Hilda, qu’est-il venu faire ici ?

Il voulait s’assurer que l’enfant allait bien avant de s’absenter.

C’est ce qu’il m’a dit. »

La question informulée de Freyja demeura suspendue entre les deux sœurs et Hilda baissa les yeux à son tour. Elle aurait tellement aimé, en cet instant, ne pas être obligée de regarder sa sœur, de ne pas déceler sur son visage dont l’âge n’avait pas réussi à altérer la rondeur des joues, les ombres furtives d’un chagrin inconsolable.

« Il l’a vue naître et c’est la fille de son mentor. C’est normal qu’il y soit attaché et n’ait pas envie qu’elle l’oublie alors qu’il va quitter Asgard pour un temps, finit-elle par répondre d’une voix mesurée.

Il pourrait tout aussi bien l’emmener avec lui. Tu le dis toi-même : elle a bien plus à voir avec lui qu’avec nous.

Freya —

Mais s’il ne part pas avec elle, dans ce cas… Que te voulait-il ?

Il n’était pas ici seulement question de la confiance inaliénable que les deux sœurs s’étaient toujours vouées, ni de ce lien qui garantissait à chacune la présence de l’autre à tout instant, qu’il s’agît de partager une joie ou un chagrin, un soulagement ou une inquiétude. Du fait de l’existence discrète que la blonde Freyja menait dans l’ombre de sa sœur, beaucoup en concluaient que la cadette des Polaris n’avait ni les épaules, ni l’intelligence nécessaires pour aspirer à autre chose qu’à cette place modeste, en retrait du pouvoir et de ses subtilités collatérales. Qu’elle se contentât de régir le fonctionnement quotidien du palais et de s’assurer du respect du protocole était, de fait, bien plus à sa portée ; le reste n’était pas en mesure de la concerner, voire de l’intéresser.

Hilda ne cherchait plus à démentir l’image quelque peu méprisante que d’aucuns s’étaient forgés au sujet de sa sœur. En cela, elle respectait son souhait pressant : « Peu importe ce qu’ils pensent de moi », lui avait un jour répondu Freyja alors que, lassée et meurtrie par la condescendance qu’elle lisait dans les regards qui s’égaraient sur sa jeune sœur, Hilda avait rabroué bien au-delà de ce qu’autorisait la bienséance l’un des rejetons du clan Mizar qui s’était avisé d’une plaisanterie au sujet de la présence immobile de Freya aux côtés de son aînée. Si immobile qu’on aurait dit une statue qui, ainsi, présentait au moins une utilité décorative.

« Je ne recherche pas la reconnaissance », avait-elle alors rajouté, « exception faite de la tienne. »

Hilda n’avait rien répondu : ce n’était pas nécessaire. La lucidité et la clairvoyance de sa jeune sœur l’avaient accompagnée chaque jour depuis son accession à la tête d’Asgard et aucune de ses décisions ne s’était jamais prise sans qu’elle eût au préalable consulté Freyja et tenu compte de ses avis, souvent sages et motivés.

L’intelligence de sa jeune sœur était redoutable, de même que sa capacité à analyser les gens au travers de leurs paroles et de leurs réactions. Et parce que Hilda le savait, elle peinait à affronter le grand regard clair de sa cadette. Serrant les poings entre les plis de sa robe, elle se recomposa un sourire :

« Alexeï tenait également à me faire part de sa gratitude.

Au sujet de la petite ?

Pas seulement : il m’a remercié aussi de tout ce qu’Asgard a fait pour Dimitri, ainsi que pour lui et les siens. Il aurait pu envoyer un message, c’est vrai, rajouta Hilda, devançant par la même les objections de sa sœur, considérant le risque d’être vu au Palais par l’un ou l’autre des informateursdu Sanctuaire. Mais il tenait à le transmettre de vive voix. C’est tout à son honneur.

En effet. Et ses projets, quels sont-ils ?

Il ne m’en a rien dit. »

Pourquoi Hilda avait-elle soudain éprouvé le besoin irrépressible de mentir à la personne qui comptait le plus au monde à ses yeux ? Elle se trouvait incapable de l’expliquer alors que le fil glacé de la honte et de la peur sinuait le long de sa colonne vertébrale. Freyja allait s’en rendre compte, inévitablement. Elle la regarderait sans un mot. Elle se détournerait d’elle.

Ce serait pire que tout.

Contre toute attente cependant, la circonspection s’effaça des traits de Freyja qui se détendit et se laissa même aller à un sourire que Hilda décida de considérer comme du soulagement, tout en occultant au passage le fait que son mensonge n’avait a priori pas manqué de conviction.

En effet, si cet homme prêtait autant attention à Oksanna – dont il s’était occupé pendant près d’un an avant de la confier aux bons soins des sœurs Polaris – cela signifiait aux yeux de Freyja qu’il recelait des qualités autres que sa politesse impeccable et son respect des convenances. L’Asgardienne savait qui il était, et surtout ce qu’il était. Elle avait appuyé la décision de sa sœur plusieurs années plus tôt, au nom de l’hospitalité sacrée due à son prochain ; elle n’avait cependant pas imaginé à l’époque que ce choix les exposerait autant à l’ire du Sanctuaire et plus particulièrement à celle de sa représentante séculaire.

Ce conflit, toutefois, ne les concernait pas. Ni elle, ni Hilda, ni aucun des habitants d’Asgard. Aussi, après l’expédition punitive de Rachel Dothrakis qui avait ainsi mis un terme à sa quête de vengeance sur leurs terres, Freyja n’aspirait désormais plus qu’à une seule chose : la paix.

Qu’Alexei Roudnikov souhaitât conserver les liens quasi filiaux qui l’unissait à cette enfant, elle ne pouvait que s’en féliciter et elle ne manquerait pas, lors de sa retour, de l’accueillir comme il se doit. Mais s’il devait revenir pour autre chose…

Non – elle secoua mentalement la tête – Hilda n’avait pas plus apprécié qu’elle la façon dont les choses s’étaient déroulées et savait toute l’importance de conserver des relations sereines, à défaut de cordiales, avec le Sanctuaire. Elle ne prendrait pas un risque qui mettrait Asgard plus en danger qu’elle ne l’était déjà. Et certainement pas sans lui en parler.

« Madame ? »

Quelques coups venaient d’être frappés à la porte et déjà, le chef des gardes passait la tête par l’embrasure, son attention d’abord tournée vers Freyja :

« Votre époux est arrivé. »

Avant d’incliner brièvement le menton en direction de sa souveraine :

« Et Siegfried de Dubhe vous attend également dans la cour d’honneur.

Merci Langer, nous allons les rejoindre. »

Tandis qu’elle posait de nouveau sa veste sur ses épaules, Freyja vit sa sœur s’enrouler dans l’épais manteau suspendu près de la cheminée. Elle ouvrit la bouche, puis la referma. A quoi bon lui dire que ce n’était pas nécessaire ? Sur ce point, même si Hilda l’entendait, elle ne l’écoutait jamais. A la place, elle plaisanta :

« Je me demande si la chasse a été bonne.

Ce n’est pas très gentil de te moquer de ton mari, Freyja.

Est-ce de ma faute si si c’est le gibier qui repère Hagen et non l’inverse ? »

Et les deux sœurs d’éclater d’un rire sonore qui vit les corbeaux posés sur la rambarde du balcon s’envoler à tire d’aile.

Asgard, Norvège, Février 2006

La neige s’était remise à tomber et même si la nuit avait eu tôt de recouvrir Asgard dès la mi-journée et qu’aucun flocon ne pouvait s’entrapercevoir dans l’obscurité par delà les fenêtres calfeutrées sous de lourds rideaux de laine, l’ouate familière faite de silence et de calme avait enveloppé l’intérieur de la petite maison en pierre.

Assise au coin du feu, Freyja lisait. Ou tout du moins essayait, son esprit n’ayant de cesse de battre la campagne si bien qu’elle lisait et relisait le même paragraphe depuis plusieurs minutes sans réussir à tourner la page.

Les longues mains mates de Hagen sur ses épaules lui furent une distraction supplémentaire – mais bienvenue – et elle se laissa aller contre le dossier de son siège, sa tête reposant contre le ventre de son mari.

Ils avaient dîné du lièvre que ce dernier avait attrapé ce matin en relevant les collets posés la veille. Le Guerrier Divin avait coutume d’affirmer, non sans humour, que c’était là la seule arme dont il était assez expert dans le maniement pour espérer en tirer quelque chose et il n’avait pas tort : Siegfried, ou Thol, étaient capables de toucher et d’abattre un oiseau en plein vol, eux-mêmes lancés au galop, un arc en main. Pas Hagen, qui se contentait d’une chasse moins flamboyante mais pas aussi inefficace que d’aucuns avaient coutume de le laisser entendre.

A dire vrai, la traque du gibier ne constituait plus une obligation. Les clans produisaient depuis plusieurs générations la viande nécessaire aux quelques milliers d’habitants d’Asgard par le biais de leurs élevages, et le poisson n’était pas non plus une denrée rare sur les marchés grâce à la poignée de pêcheurs téméraires qui se lançaient chaque jour sur les flots glacés de la mer de Norvège afin de ramener de quoi nourrir leur semblables. Néanmoins, l’autosuffisance était inscrite en creux dans l’héritage multi millénaire des Asgardiens, de même que la volonté de mener une vie fruste, ne devant qu’aux efforts fournis d’en voir l’ordinaire amélioré. Ainsi la vraie valeur des choses était-elle connue de chacun et tous pouvaient les échanger ou les partager en toute équité, qu’il se fût agi de nourriture, de vêtements ou bien encore de bois pour se chauffer.

Mais parce que le monde à l’écart duquel ils se tenaient tout en en étant partie intégrante, avait continué de tourner et d’évoluer indépendamment des atavismes qui régissaient leur existence, ils avaient du se résoudre à quelques compromis nécessaires afin d’assurer, aussi paradoxal cela pût-il paraître, la pérennité de leur mode de vie. Et il fallait bien admettre qu’il s’en trouvait bien peu pour regretter les conditions plus rudes qui avaient présidé au quotidien des générations précédentes.

Ils n’étaient pas à plaindre, non, songea Freyja rendue languide par le massage à la fois précautionneux et ferme de Hagen, et la possibilité qui leur était dorénavant offerte de ne plus vivre en totale autarcie, qu’elle fût sociale ou économique, constituait un progrès en ce sens que le choix était laissé à chacun d’en faire usage comme bon lui semblait, même si pour partie, il s’était mué en une exigence difficilement contournable au plus haut niveau de la gouvernance de l’enclave.

L’air soucieux de son aînée un peu plus tôt dans la journée n’avait pas quitté ses pensées et le pouce qui s’appuya sur un nœud dont elle n’avait pas soupçonné l’existence, là, entre son omoplate et sa colonne vertébrale, lui arracha un mouvement involontaire d’évitement.

« Tu es tendue ce soir, dit doucement Hagen derrière elle. Que se passe-t-il ?

Oh, je… » Un coup d’œil à son livre que décidément elle ne poursuivrait pas : elle le referma avec un soupir. « Nos ressources seront sans doute insuffisantes cette année encore. Et Hilda en est très préoccupée.

Elle saura quoi faire, comme d’habitude. Mais je veux bien croire qu’elle est inquiète : mon oncle a passé plusieurs semaines à compter et recompter ses réserves et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il en a transmis l’état à ta sœur. Siegfried me disait encore ce matin que de son côté, les choses ne se présentaient pas beaucoup mieux.

Et encore une fois, ce sont les Megrez qui se montrent les plus généreux. »

Un reniflement méprisant lui parvint en réponse :

« De l’argent, voilà ce qu’ils vont donner, comme d’habitude. Dont on ne sait ni d’où il sort ni à quoi il a bien pu servir avant de nous être si charitablement partagé.

Mais un argent qui, malgré tout, nous permettra de limiter nos demandes au Sanctuaire et de faire venir ce qui va nous manquer de l’extérieur sans devoir en passer par le Grand Pope, objecta la jeune femme.

Ces Megrez… S’ils l’apprécient tant que ça, cette civilisation “moderne” – Hagen avait craché le terme – pourquoi ne la rejoignent-ils pas ? Nous nous porterions bien mieux sans eux.

Tu es injuste. »

Hagen ne répondit rien : il savait que sa femme avait raison. S’exhortant au calme, il desserra les doigts qu’il avait inconsciemment crispés sur ses épaules. Parmi les concessions faites au monde moderne, telles que l’électricité ou les moyens de communication– du moins avec l’extérieur de l’enclave – la participation aux échanges économiques mondiaux n’était pas de celles que le Guerrier Divin appréciait le plus. Et pourtant. Son clan, comme tous les autres, avaient dû s’y résoudre après les succès rencontrés par celui d’Albérich, qui avait été le premier à se lancer dans l’aventure. Le domaine foncier possédé par cette famille s’étendait bien au-delà des strictes frontières d’Asgard, à l’instar de ceux des autres clans d’ailleurs, et recouvrait notamment des ressources minières qui, si pendant plusieurs siècles avaient été mises à contribution dans les strictes limites des besoins de leur peuple, exploitées selon les méthodes modernes, fournissaient des surplus dont les nouvelles technologies en vogue parmi les hommes étaient friandes : un excédent que les Megrez avaient appris à monnayer avec un art consommé.

Chaque clan disposait d’atouts similaires ou différents, mais qui tous représentaient une richesse dont Asgard avait de plus en plus besoin. Jusqu’à quelques années encore, les accords commerciaux passés avec plusieurs acheteurs d’envergure internationale, via des sociétés écran – là encore, une idée des Megrez – installées en Norvège ou en Finlande, avaient permis d’équilibrer les dépenses nécessaires à la survie des Asgardiens. Cependant, depuis deux ou trois ans, la situation s’était dégradée du fait de la conjonction de plusieurs facteurs défavorables et les clans avaient dû en revenir à certains fondamentaux, à savoir ne plus produire de l’argent mais directement des matières premières utiles à chacun dans son quotidien. Ce retour aux sources convenait à Hagen et il semblait ne pas être le seul ; une pression insidieuse avait fini par s’exercer sur chaque clan jusqu’à créer de la compétition là où il ne régnait auparavant qu’une saine émulation. Les relations entre les clans s’étaient dégradées et, par effet de rebond, des tensions avaient vu le jour au sein de la population, en fonction des allégeances des uns ou des autres. Depuis, la situation s’était toutefois améliorée et de nouveaux équilibres s’étaient mis en place dans l’intérêt collectif. Mais pour ce qui en était de la satisfaction des besoins, même les plus élémentaires, les difficultés s’accentuaient.

« Nous sommes solidaires, finit-il par répondre, indirectement, au reproche de son épouse. Même eux, c’est vrai. Et tout le monde ici sait que ta sœur fait tout ce qu’elle peut pour protéger son peuple. Les clans sauront s’en souvenir au prochain vote, ainsi qu’ils l’ont toujours fait. »

Freyja laissa échapper un léger rire qui tira un sourire tendre à son mari :

« Hagen, nous n’avons même plus besoin de nous parler : tu devines chacune de mes pensées ! Allons, tu as sans doute raison et je m’inquiète pour rien. Pourquoi ne me parlerais-tu pas de ce que vous avez vu ce matin, de l’autre côté du fjord ? Vous n’étiez plus retournés de ce côté-là depuis plus d’un an, il me semble, n’est-ce pas ? »

Se retournant à demi sur son siège, elle lui saisit les mains pour l’inciter à venir devant elle, demande à laquelle il se plia volontiers en s’asseyant en tailleur à ses pieds. La blondeur chaude des longs cheveux de son mari chatoya dans le reflet des flammes et la peau de ses bras nus prit la couleur du miel : de nouveau elle le trouva beau avec toujours ce même étonnement émerveillé qu’elle nourrissait depuis ses six ans et sa rencontre avec un petit garçon du même âge qu’elle et dont elle s’était promis ce jour-là de devenir la princesse. Leur mariage n’avait été, de fait, qu’une formalité aux yeux de tous et chaque jour, Freyja savourait ce bonheur simple auquel elle avait toujours aspiré. Ne lui manquait, pour qu’il fût complet, qu’un enfant.

« C’est vrai – elle sursauta, égarée dans ses réflexions et il lui fallut une seconde pour réaliser que Hagen répondait à sa question de tantôt – mais je ne suis pas sûr que ce que je vais te raconter va améliorer ton humeur. »

Il souriait de nouveau, mais moins largement. Dans son regard au bleu intense s’était nichée l’ombre d’une tristesse qu’elle avait appris à reconnaître au fil du temps, et pas uniquement au fond des yeux de son mari ; il en était de même au fond des siens à chaque fois qu’elle croisait son propre reflet.

« A ce point… Murmura-t-elle, tandis qu’il resserrait les mains qu’il avait gardées entre les siennes.

C’est à peine si la couche de neige de la précédente tempête recouvre le sol. Quant au rivage, il a reculé de deux bons mètres au moins depuis l’hiver dernier. Nous avons croisé un ours, Freyja, rajouta-t-il un ton plus bas. Un ours, en cette saison ! Bien sûr, la surface des terres cultivables tout au long de l’année augmente, mais… – il secoua la tête – nous allons devoir redoubler d’efforts, sinon on court à la catastrophe.

Mais nous faisons déjà tout notre possible ! Protesta la jeune femme. Asgard est épuisée, au bord de la rupture. Hilda me l’a encore dit la semaine dernière : nous sommes déjà à l’extrême limite de nos forces.

Vraiment ?

Mais… Mais oui ! »

Hagen contempla un moment le visage de Freyja, habituellement si doux et en cet instant si bouleversé, encadré par les longues torsades blondes qu’elle déroulait le soir lorsqu’ils étaient ensemble parce qu’elle savait qu’il aimait voir libre son opulente chevelure. Tout comme lui, la jeune femme avait le cœur transpercé par l’évolution anormalement rapide du réchauffement climatique dont ils étaient en première ligne pour juger des stigmates. Tous deux, comme tous les Asgardiens, savaient cette accélération inéluctable, mais personne n’aurait jamais envisagé que ce fût dans de telles proportions. Et cet état des lieux, que chacun constatait au quotidien, depuis l’observation du sommet des montagnes jusqu’à celui du pas de sa porte, pesait sur leur conscience collective.

« C’est pourtant notre rôle. »

Hagen avait tourné son attention sur le foyer à quelques mètres de lui, dont l’éclat des flammes, plus basses, cédait peu à peu le pas au rougeoiement des braises.

« L’équilibre de la Terre a toujours dépendu d’Asgard et de son énergie. Quoi qu’il arrive, nous devons le maintenir.

Et c’est ce que nous faisons, réaffirma Freyja. Hilda s’en assure chaque jour.

Parfois, je me demande si cela suffit.

Tu mettrais en doute la volonté et les efforts de ma sœur ? »

La jeune femme avait ouvert de grands yeux effarés et tout de suite, Hagen tapota le dessus de sa main pour la rassurer :

« Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Néanmoins, s’il est vrai que nous ne pouvons faire plus alors dans ce cas, peut-être faudrait-il trouver une autre solution ? A moins que… A moins que tout soit déjà terminé, rajouta-t-il après une hésitation.

Qu’est-ce que tu veux dire ?

Que c’est fini. Notre rôle. Notre utilité. Cette vie, ici. »

Cela ne ressemblait tellement pas à Hagen de se montrer aussi mélancolique que la jeune femme eut un haut-le-corps. Jusqu’ici, jamais il n’avait remis en doute, ne serait-ce qu’un seul instant, la valeur du sacrifice d’Asgard au profit de l’humanité. Comme tant d’autres choses, celui-ci était inscrit en creux dans leurs âmes et ils en portaient le poids de leur naissance jusqu’à leur mort, un poids qu’ils partageaient tous ensemble, jeunes et vieux, riches et pauvres, nobles et roturiers. Asgard, et le rôle qu’elle jouait, n’existaient que par la grâce de ce cosmos unique dont chaque habitant était dépositaire, et qui était mobilisé en continu afin d’impulser et de contrôler les équilibres naturels. La Terre vivait sa vie de planète en orbite autour du soleil, soumise aux énergies stellaires et réagissant au gré de leurs variations. Aussi aléatoires pussent être ces variations, elles se traduisaient à l’échelle du globe par des singularités parfaitement naturelles qu’il n’était pas question de contrecarrer, au regard de leur nécessaire existence pour le maintien de l’équilibre général. Mais lorsque celui-ci était rompu par le fait d’une action qui s’inscrivait hors du cadre de cet équilibre ? Il revenait à Asgard de le rectifier. Coûte que coûte. Si cela ne devait plus être le cas… Freyja frémit à cette idée :

« Non. »

Elle avait redressé la tête et ses lèvres s’étaient pincées jusqu’à ne plus former qu’un trait horizontal et volontaire.

« Impossible. Car si cela était vrai, toute vie à la surface de la Terre serait vouée à la destruction.

Qu’en savons-nous ? Freyja, ce qu’on nous a appris n’est plus forcément la seule vérité. Qui nous dit que l’humanité ne serait pas capable de survivre malgré tout, de nos jours ? Regarde de quoi les hommes sont capables ! Peut-être que nous nous épuisons pour rien. Peut-être que nous pourrions tout simplement nous contenter de vivre pour nous désormais, et de laisser le monde s’adapter à ce qu’il a lui-même créé.

Hagen… »

Des propos de son mari, Freyja ne savait pas si c’était leur contenu ou leur incongruité qui la stupéfiait le plus. Hagen était un homme simple, comme elle, non pas en terme de position sociale mais plutôt d’appréhension du quotidien. Fiers d’être Asgardiens, ils avaient construit leurs repères ensemble sur la base d’une même culture et d’une même éducation ; le monde qui encerclait Asgard ne leur était pas inconnu, ils en savaient tout ce qu’il y avait à savoir mais ni l’un ni l’autre n’avait le désir de le découvrir plus avant.

Hagen était, comme tous ceux de son clan, un homme profondément attaché à ses racines et cultivait une harmonie forte avec les forces de la nature et notamment celles du feu et de la roche, deux éléments sur lesquels reposait sa puissance de guerrier divin. Il n’était pas de ces hommes de lettres ou de sciences qui interrogeaient le monde et ses croyances. Il les respectait bien sûr, mais n’avait jamais témoigné de la moindre inclination pour leurs travaux ou leurs discours. Alors, d’où pouvait-il bien tirer de telles réflexions, si peu en accord avec sa nature profonde ?

« Je ne voulais pas te blesser. Pardonne-moi. »

Les doigts de l’Asgardien avaient commencé de dénouer distraitement l’une des tresses de son épouse et jouaient avec les mèches soyeuses qui s’en échappaient. Il continua, pensif :

« Les gens disent toutes sortes de choses et certaines m’ont frappé, je l’avoue. Cela fait un moment que je voulais t’en parler parce que je ne sais pas trop quoi en penser. Je me rends compte, comme tout le monde, que l’accomplissement de notre devoir pèse chaque fois un peu plus sur ceux qui sont désignés. Que certains en souffrent et s’en plaignent, c’est légitime. Mais d’autres pensent que le sacrifice de notre cosmos commun n’a plus lieu d’être.

Des gens ? Quels gens ?

Tout le monde et personne, soupira Hagen. Ça va du commerçant à la servante, en passant par les clans. Il y a deux ou trois semaines, j’en ai entendu quelques uns discuter du sujet avec les hommes de Dimitri Dothrakis. »

Devant le silence méditatif de Freyja, il finit par hausser les épaules avec un petit sourire :

« Bah, c’est peut-être moi qui y accorde trop d’attention : chacun a le droit d’exprimer ses inquiétudes, ou d’essayer de trouver un peu d’espoir. Après tout c’est la saison, les esprits s’apaiseront une fois que le jour reviendra. »

La voix si polie d’Alexeï résonnait dans l’esprit de Freyja, qui s’efforçait dans le même temps de conserver son sourire. Les hommes de Dimitri, à qui Hilda avait également accordé l’asile lorsqu’ils avaient émis le souhait de se regrouper autour de celui qu’ils appelaient leur Maître : Alexeï était de ceux-là et même s’il ne s’était jamais présenté comme tel, Freyja avait vite deviné son rôle de bras droit auprès de Dimitri Dothrakis ce qui faisait de lui le chef de ces gens-là. A l’époque, Hilda avait posé comme condition expresse qu’ils ne se mêlassent pas à la population de l’enclave et celle-ci aurait pu être globalement respectée s’il n’avait pas fallu compter avec la curiosité naturelle des Asgardiens. Néanmoins, la distance imposée par Hilda avait perduré bon an mal an et les uns avaient appris à vivre aux côtés des autres sans poser plus de questions que nécessaire. Seuls les Guerriers Divins les avaient côtoyés, avec l’aval d’Hilda et au grand déplaisir de Freyja qui n’en avait toutefois pas fait état. L’asile qu’Asgard avait consenti à Dimitri et à ses proches était temporaire et bien qu’il eût duré près de cinq ans, il s’était achevé avec la mort du Grec. Nombre de ceux qui l’accompagnaient étaient repartis vers le sud après l’exécution de leur maître ; n’étaient restés que Roudnikov et sans doute une poignée de ses compagnons. Lesquels s’apprêtaient à quitter Asgard à leur tour.

Cette certitude soulagea quelque peu la jeune femme qui, se penchant, prit le visage de son mari entre ses mains puis embrassa doucement ses lèvres :

« Merci de m’en avoir parlé. Mais tu connais mon avis sur le sujet, et tu sais qu’il n’a jamais varié.

Et ne variera jamais, ajouta-t-il, malicieux.

C’est aussi bien, non ?

Oui – il lui rendit son baiser de façon plus appuyé et elle lui accorda sa bouche – merci d’être là, Freyja.

Je ne le suis que parce que tu l’es, toi aussi. Alors ne me remercie pas. »

Le Sanctuaire, Grèce, Février 2006

« Alors ?

RAS. »

Rachel qui déjà s’empressait de contourner son bureau pour venir à sa rencontre s’arrêta net au beau milieu de la petite pièce qu’elle s’était aménagée comme lieu de travail et le Taureau esquissa un sourire à mi-chemin entre la contrition et la bonhomie :

« C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

— … Je suppose que oui. »

La Grecque se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche avec un soupir, tout en invitant Aldébaran à l’imiter. Il ne se fit pas prier :

« Le voyage a été long ? S’enquit-elle en souriant à son tour en le voyant s’étirer avec une souplesse surprenante pour un homme de son gabarit.

Interminable, confessa-t-il. Et il n’y avait plus de place en classe affaires. »

Rachel ouvrit de grands yeux :

« Mais… Pourquoi n’as-tu pas appelé ? Saga aurait affrété un Falcon !

Bah – il eut un geste d’apaisement – ce n’était pas si terrible non plus. La passagère et son fils, assis sur la même rangée que moi, ont proposé d’aller s’installer ailleurs pour me laisser plus de place.

Je parie que tu t’es senti obligé de refuser.

Oui… mais pas très longtemps ! »

Ils éclatèrent de rire de concert et lorsque Rachel se releva pour lui préparer un café depuis la machine d’une célèbre marque suisse et dont le fonctionnement au moyen de dosettes en aluminium lui valait systématiquement une remarque acide de la part d’Angelo relative aux « vraies valeurs de l’existence », il lui adressa un regard de gratitude.

« Et les Philippines ? Lui demanda-t-elle après qu’il eût saisi sa tasse et qu’elle se fût rassise en face de lui.

J’ai connu pire, répliqua-t-il, de façon trop laconique pour être honnête.

Tu étais le plus près.

Et Kanon a bien fait. Ne t’excuse pas. »

Un moment, ils savourèrent le breuvage encore fumant, aussi appréciateurs l’un que l’autre de cette parenthèse de silence et de leur compagnie mutuelle.

« Il y avait école ce jour-là. »

La voix d’Aldébaran était si profonde qu’elle semblait toujours remonter depuis le sol et se propager vers le cerveau de son auditeur à travers ses os plus sûrement qu’à travers ses oreilles. Rachel avait beau en avoir l’habitude, un frisson de surprise ne manquait jamais de lui hérisser la nuque.

« Il ne m’a fallu quelques minutes pour dégager la boue mais plus de vingt-quatre heures étaient déjà passées.

Je suis désolée. »

Il haussa ses épaules massives pour toute réponse.

« Des survivants ailleurs, sinon ?

Dans l’un des villages, oui : on a pu sauver une famille entière et à part quelques égratignures, ils se portaient bien. »

Les traits d’Aldébaran étaient rassérénés et Rachel se promit de toucher deux mots à Kanon à l’occasion. Le Taureau avait eu plus que son compte au fil des années mais sa pourtant longue expérience n’émoussait pas ses ressentis pour autant. Cette part d’humanité, que le Brésilien avait conservée par devers lui et su cultiver malgré les exigences parfois discutables de sa charge, était précieuse et le rendait unique parmi ses pairs : Rachel n’avait pas envie qu’il finît par perdre ce qui le rattachait à ce monde qu’il aimait tant. Pas lui.

« Tu n’as vraiment rien trouvé, alors ? »

Le Taureau ne put réprimer un sourire :

« Je me demandais combien de temps tu tiendrais. Presque dix minutes cette fois, un record !

C’est mal de se moquer, tu es au courant ? »

A présent tout à fait hilare devant l’air ostensiblement pincé de Rachel – qui se retenait à grand-peine de l’imiter – il se pencha sur le côté du siège pour attirer son sac de voyage jusqu’à lui et en sortir un chemise souple de couleur verte qu’il lui tendit.

« Pour être tout à fait honnête, disons que je n’ai pas trouvé grand-chose. »

La fiche familière à en-tête du Sanctuaire fut la première chose que Rachel aperçut en ouvrant le dossier. Un apprenti de nationalité vietnamienne dont la photo pâlie par les ans en disait long sur l’âge qu’il devait avoir aujourd’hui. Du moins s’il était toujours en vie ?

« Quarante-huit ans, confirma Aldébaran sous le coup d’œil interrogateur de la Grecque. Et je ne l’aurais pas retrouvé si je n’avais pas été victime d’une honteuse tentative de vol à l’arraché.

Que tu as déjouée in extremis, bien entendu.

Ça a été moins une. »

Amusée, Rachel se carra plus confortablement dans son fauteuil, comme Aldébaran poursuivait son récit, son regard marron pétillant de malice :

« C’était une petite fille qui devait avoir, quoi, six ans ? Sept ? Rapide et vive, pas sûr qu’une chevalier de bronze ne se serait pas laissé avoir.

A ce point-là ?

Sa main était déjà à quelques centimètres de ma poche quand je l’ai surprise, s’esclaffa-t-il. Seul un cosmos éveillé, et entraîné, pouvait expliquer une telle agilité. Alors je l’ai, disons, priée de me mener jusqu’à son « employeur » et je suis tombé sur cet homme. »

Fouillant derechef dans son sac, le Chevalier d’or du Taureau en tira cette fois son téléphone portable sur l’écran duquel il afficha une photographie dudit individu pour la montrer à Rachel qui acquiesça :

« La ressemblance est bien là.

De même que son pedigree. Il a nié au début – et je ne pense pas que ce soit à cause de l’air occidental que je n’ai pas, rit-il de nouveau. Je n’ai pas eu à insister longtemps : après avoir quitté son centre d’entraînement, il est rentré dans son pays et avec l’argent du Sanctuaire, a réussi à subsister une année ou deux. Par la suite, sans famille proche, il a commencé à travailler jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il était plus doué pour la fauche que pour la plonge. « Son talent naturel » a-t-il précisé.

Et le rapport avec la gamine pickpocket ?

Il avait beaucoup de concurrence sur le marché, alors il s’est employé à repérer ceux dotés du même  »talent » que lui et à professionnaliser le métier. Je suis tombé sur une véritable petite industrie du vol à l’arraché dont les salariés ont tous quelques bribes de cosmos à exploiter.

Et c’est ce que tu appelles « pas grand-chose » ? »

Les ongles enfoncés dans les accoudoirs, Rachel s’était irrésistiblement avancée au bord de son siège et fixait son interlocuteur avec intensité :

« Cet homme enfreint la première de nos lois ! « Le cosmos ne doit pas…

… être utilisé à des fins personnelles ». Oui, c’est vrai.

Mais ?

Mais en tout état de cause, l’usage qui en est fait est circonscrit à un contexte qui ne porte préjudice qu’aux étourdis qui font preuve d’un excès de naïveté ou d’un manque de vigilance, c’est selon.

Et tu te places dans quelle catégorie ?

Ce n’est pas toi qui disais que c’est mal de se moquer ? – Il fit mine de croiser les bras et Rachel leva les siens en signe de reddition – cet homme n’a nulle volonté de nuire au Sanctuaire. Il s’est efforcé de survivre et aujourd’hui, il permet à d’autres gosses d’en faire autant, sans tuer ou blesser quiconque. Est-ce à ce point condamnable ? »

Rachel le considéra un instant, pensive, avant d’exhaler un mince soupir et d’allumer une cigarette :

« Vu sous cet angle…

Il a été honnête avec moi.

Tu lui as dit qui tu étais ? Ou ce que tu étais ?

Non mais il a deviné. »

Aldébaran flairait le mensonge à des kilomètres : les dernières années passées à prendre en main et à organiser la formation des plus jeunes, d’abord en collaboration avec Aiolia puis de façon de plus en plus autonome comme le Lion construisait sa vie hors de Grèce, l’avaient aguerri contre toute les tentatives de dissimulation, de subversion ou autre corruption de la vérité dont était capable un gamin pour se défiler devant une centaine de pompes. S’il disait l’individu honnête, alors il l’était.

« Et le deuxième aussi. »

Obéissant à l’index du Brésilien pointé sur le dossier ouvert sur ses genoux, Rachel tourna quelques pages pour tomber sur une seconde fiche à peine moins ancienne avec, agrafée en haut à gauche, l’image d’un adolescent à la peau sombre et au sourire éclatant. Juste derrière l’attendait un cliché imprimé sur papier glacé et au pourtour festonné à l’ancienne sur lequel un homme arborait le même sourire, exactement, avec une petite vingtaine d’années de plus au coin des yeux.

« Celui-là est devenu cascadeur à Bollywood ! »

Cette fois, le rire d’Aldébaran tonitrua littéralement sous le plafond à caissons des anciennes archives privées du Pope tandis que, médusée, Rachel parcourait quelques articles en anglais que le Taureau avait rassemblés au sujet de celui qui était désormais une gloire locale. La virtuosité de son travail associée aux risques parfois inconsidérés qu’il prenait avaient transformé l’apprenti raté du Sanctuaire en une star incontournable du cinéma indien à grand spectacle.

« … Il te l’a dédicacée ou je rêve ?

Il était tellement heureux de me voir que je n’ai pas pu lui refuser ce petit plaisir. »

Accident automobile, chute de plusieurs étages, noyade… L’homme avait tout expérimenté et s’en sortait à chaque fois sans la moindre égratignure. Certains journalistes évoquaient même à son sujet une bénédiction divine quelconque ce qui, au regard de la cosmogonie indienne, offrait une large panel de possibilités.

« A part à lui-même, ce garçon ne ferait pas de mal à une mouche, conclut Aldébaran. Je te l’ai dit, Rachel : pas grand-chose. »

Refermant le dossier, la Grecque le rendit à Aldébaran qui le remisa sur le dessus de son sac. Ces éléments iraient rejoindre les rapports d’enquête que le Taureau rédigeait à chaque fois avec soin, et dont les conclusions se suivaient et persistaient à se ressembler. Oui, il y avait beaucoup d’anciens apprentis du Sanctuaire de par le monde, non, ceux qui étaient encore en vie n’étaient pas si difficiles à trouver, et non plus, ils ne représentaient pas un danger particulier. Il s’en trouvait bien quelques uns qui avaient perdu l’esprit, mais enfin, la plupart étaient hébergés en des lieux qui protégeaient autrui de leur folie, et les protégeaient d’eux-mêmes par la même occasion. Quant aux autres, leurs corps n’étaient plus en mesure d’assumer d’éventuelles pensées destructrices.

« Toi aussi tu crois que je me suis lancée à la poursuite d’une chimère ? »

La voix morne de Rachel alerta Aldébaran qui, les sourcils froncés, posa son regard sérieux et attentif sur elle comme elle reprenait :

« Pour l’instant cette liste n’a rien donné mais… – elle secoua la tête – ce n’est peut-être qu’un leurre.

Un leurre ?

Le disque dur de Dimitri est partitionné. Il n’a pas été difficile de casser la protection pour accéder à la première moitié, dont on a extrait les noms que je t’ai donnés. Mais la seconde moitié reste inaccessible.

La dernière fois que tu m’en as parlé, ça semblait pourtant bien engagé.

Semblait, oui.

Ça fait combien de temps qu’ils sont dessus ?

Un an et quelques dizaines de milliers d’euros. La clé de chiffrement est a priori trop complexe. »

La Grecque marqua une pause le temps de quelques bouffées, l’or enchâssé dans son poignet gauche jetant un éclat lorsqu’elle tendit la main pour attraper un cendrier posé sur le rebord de le fenêtre.

« Je connais mon frère : il n’agissait jamais au hasard.

Tu penses que nous sommes sur une fausse piste ?

Ce n’est pas impossible. Mais d’un autre côté – elle secoua la tête sans masquer son agacement grandissant – c’est peut-être aussi ce qu’il voulait qu’on croie. »

Elle finit par se lever, mue par cette agitation dont chacun avait pris l’habitude dès lors que le sujet Dimitri arrivait sur la table. Aldébaran l’observa un moment, errer sans but entre la table passablement encombrée qui lui servait de bureau et la fenêtre qu’elle avait entrouverte pour laisser échapper la fumée de sa cigarette. Puis :

« Je pense que tu as de bonnes raisons de t’inquiéter, dit-il posément en répondant à sa question initiale, mais aussi que parfois, il faut accepter de ne pas pouvoir tout contrôler.

Ce n’est pas une question de contrôle, mais d’anticipation. Cet homme…

Je sais ce qu’était cet homme. Je sais ce qu’il a fait. Ce qu’il t’a fait. Mais il est mort, Rachel. Tu l’as tué.

C’était ce qu’il voulait. Que je le tue. Mais aussi que j’entende ce qu’il avait à dire. Aioros était avec moi !

Je ne remets en doute ni ta parole, ni celle d’Aioros. Ceci étant, qui te dit que son objectif n’était pas, justement, de créer cette atmosphère anxiogène ? De te perturber, toi, ainsi que le Sanctuaire ? Il est difficile de réfléchir sereinement dans de telles conditions. D’y voir clair.

Ça va bientôt faire un an et demi. Quand bien même il aurait voulu créer un écran de fumée pour nous faire perdre notre temps, j’ai peine à croire que cette espèce de statu quo puisse perdurer encore longtemps. Et surtout, qu’il se soit laissé tuer aussi facilement pour rien. »

L’acidité dans la voix de Rachel accentua le pli en travers du front d’Aldébaran qui demanda, non sans circonspection :

« Toujours aucune nouvelle de ce Roudnikov ?

Encore faudrait-il qu’on le cherche. »

Aldébaran eut une pensée pour Saga. Émue. Il se doutait que le terme “chimère” émanait en droite ligne du Pope qui avait déjà laissé poindre son exaspération à plusieurs reprises devant les demandes que sa compagne adressait directement au chevalier du Taureau sans lui en référer de prime abord. Saga détestait Dimitri Dothrakis autant que Rachel et s’était réjoui de sa mort. Il était tout aussi troublé qu’elle par le rôle que cet homme – dont la détestation du Sanctuaire n’était plus à prouver – avait joué devant les Portes, leur permettant d’être secourus à temps et donc de survivre. Mais le Pope avait d’autres priorités dont celle d’offrir à chacun, Rachel y compris, les meilleures conditions pour se remettre des séquelles physiques et psychiques de leur combat contre les Portes. Ce qui excluait d’office de se préoccuper d’un sujet que Saga ne considérait, à part lui, pas particulièrement nouveau.

Rachel ne partageait pas cet avis.

« Tu veux que j’essaye ? »

Elle s’immobilisa au milieu de l’un de ses allers-retours pour le détailler, la dureté de ses traits accentuée par la lumière froide du matin et le gris foncé de ses cheveux enfermés dans un élastique et dont seule une mèche oscillait le long de son visage ainsi dégagé. Aldébaran, qui soutenait son regard, eut tout à coup l’impression que le corps de la jeune femme était traversé par un frisson qu’il devina plus qu’il ne le vit et la sévérité peinte sur le visage de Rachel se décomposa en un instant pour laisser place à une onde de souffrance qu’il reçut de plein fouet. Il se levait déjà pour aller à sa rencontre, inquiet, quand dans la seconde, elle recouvrait son calme, un sourire s’étirant sur ses lèvres :

« Je suis injuste, répondit-elle avec un geste d’apaisement à l’égard d’Aldébaran qui se rassit lentement sans toutefois la quitter des yeux. Tu as suffisamment des missions qui te sont confiées pour ne pas te charger de celles qui ne t’incombent pas. Roudnikov relève de Saga, de Kanon et de moi-même. Et à ce sujet : que nous as-tu ramené cette fois ? »

Alors que de nouveau, il replongeait dans son sac pour y récupérer les dossiers de trois recrues en cours d’acheminement au Sanctuaire, il prit le temps de noter la maigreur du corps de la Grecque et la fébrilité de son cosmos. Ce que Rachel avait vu après que les Portes furent refermées, elle restait seule pour le supporter. Mais la mort qui avait erré sous ses yeux alors devenus les reflets des douze cosmos abrités au creux d’elle-même, la mort qui avait posé ses mains sur chacun d’entre eux, la mort qui l’avait regardée en face alors qu’elle hurlait pour tous les sauver, ne serait jamais que son ennemi à elle. Et à personne d’autre.

14 réflexions sur “Nouvelle Ère – Émergence – Chapitre 2

  1. Freya et Hagen sont juste tellement mignons, c’est insupportable XD

    (Et j’ai couiné à la mention d’Oksnana et de Pia, j’espère qu’on aura le plaisir de les voir avant qu’elles ne quittent Asgard)

    Vivement la semaine prochaine pour avoir la suite ❤️

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    • Attends, pour une fois qu’on a affaire à un couple *normal* avec deux êtres qui s’aiment sans que l’univers se mette en travers de leur route, profitons-en XD (oui, ils sont choubidou : j’ai pas l’habitude XD)

      Concernant Oksanna et Pia, oh, je vais bien arriver à faire quelque chose 🙂

      Alors, heu… la semaine prochaine, ça m’étonnerait fort fort ! J’ai préparé la trame des 3 prochains chapitres et même si j’ai la matière, cela m’a fait prendre conscience qu’un gros boulot m’attend en terme de réagencement, de réécriture partielle et de compléments divers. Donc on va plutôt dire début avril ?

      Merci beaucoup pour ta lecture et ton enthousiasme ❤

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  2. Passionnant ce chapitre! J’ai adoré découvrir ta vision du royaume d’Asgard sur fond d’intrigues politiques (les Megrez, toujours en première ligne) et de réchauffement climatique inévitable. Le monde des Asgardiens changent et les mots d’Hagen et de Freyja sonnent tristement justes.

    Ce qui console un peu, c’est que ces deux là ont peu enfin vivre pleinement leur relation et ça fait plaisir de les voir si complices.

    AU Sanctuaire, il flotte aussi un ambiance un peu douce-amère. La quête de Rachel est légitime et ça donne une bonne occasion au domaine sacré de voir ce que sont devenus tous les apprentis ratés qu’il a laissé courir dans la nature.

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    • Yay, merci !

      J’adore Asgard (comment ça, je me répète ?) et le fait est qu’il y a matière à creuser et enrichir à partir de ce que la TOEI nous a proposé à l’époque. Contente que ce petit aperçu t’ait plu car pour l’heure, on ne fait qu’effleurer le sujet qui deviendra central un peu plus tard.

      Cela fait un bon paquet d’années que je bosse sur cette suite, et le lien avec le réchauffement climatique m’est apparu comme une évidence, surtout avec le recul. Quand on pense à l’anime, le submersion des terres émergées (fut-ce du fait de Poseidon) résonne de façon troublante avec ce qui nous pend au nez (surtout à celui de la génération qui nous suit), il suffisait de tirer la ficelle pour voir ce qui allait venir. Oui, le monde des Asgardiens change parce que le nôtre change (et c’est l’ordre des mots dans ces phrases qui est important :-p).

      Comme d’habitude, j’ai utilisé le support officiel et je l’ai réinterprété à ma sauce : le mariage Freyja/Hagen en est un exemple (dans l’anime, ça finit mal cette histoire, alors, hop, contrepied ! Et puis ça fait du bien, aussi, des personnages heureux en ménage XD), de même que la personnalité de Freyja. Dans l’anime, elle est de prime abord horripilante de niaiserie mais dans le même temps, c’est la seule à prendre conscience qu’il y a un problème et à se bouger pour essayer de le résoudre. J’ai choisi de m’appuyer sur ce dernier point pour travailler le personnage et j’avoue que j’aime beaucoup cette Freyja-là 🙂

      Oui, c’est un peu compliqué au Sanctuaire. Pas grave, hein, mais… pas forcément très facile. Chacun se laisse submerger par ses propres préoccupations et ne voit pas celles des autres. Aldébaran, qui a beaucoup de recul sur ses camarades, a une vision plutôt juste de ce qui se passe. Et sinon, le problème ne viendra pas des apprentis qu’on retrouve, plutôt de ceux qu’on ne retrouve pas…

      Encore merci ! ❤

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  3. Belle découverte du monde d’Asgard, que j’ai toujours aimé. L’anime est plein de mélancolie et de sentiment de gâché; on retrouve cette mélancolie ici et en même temps beaucoup de dignité. Ils me sont tous très sympathiques, même la famille Megrez (intriguer pour prendre le pouvoir lors d’une élection, hin hin ! j’en connais un qui serait plus efficace…)

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    • J’aime énormément Asgard moi aussi, avec son ambiance très particulière et la tragédie inéluctable qui sous-tend les pensées et les actes de ce peuple à part. UDC s’est concentré sur le Sanctuaire mais Asgard a toujours tourné en toile de fond dans ma cervelle et son introduction dans la dernière partie d’UDC n’était pas anodine : il s’agissait d’amorcer la suite, que tu découvres aujourd’hui. J’en aime aussi les personnages, et j’espère que je saurai leur rendre justice, à tous y compris les Megrez XD. Les Asgardiens sont fiers, nobles et entêtés, même dans les intrigues : choc des cultures en vue XD

      Merci pour ta lecture !

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  4. Je trouve très intéressante ta manière de développer Asgard, sa culture, ses enjeux économiques, et ce lien avec le réchauffement climatique qui est à la fois très actuel et profondément lié aux événements de l’anime. Cette partie reste assez énigmatique pour moi, mais si je comprends bien la dénommée Oksanna est la fille de Dimitri, et ça risque de causer des bouleversements quand Rachel l’apprendra (car je suppose qu’elle l’ignore). D’une manière générale, j’ai l’impression que les relations Asgard-Sanctuaire pourraient s’envenimer assez vite, entre la générosité dont Hilda fait preuve pour les ennemis jurés de Rachel, ça, et les « hérésies » qui se propagent sans doute avec l’aide des hommes de Dimitri… Sans parler des dissensions internes. En tout cas, je trouve chouette que tu aies décidé de t’attaquer à cette partie de l’anime que j’avais trouvée très touchante, et j’espère voir d’autres personnages faire leur apparition (Miiiime!).

    Et j’avoue que j’ai bien ri en découvrant les carrières improbables des apprentis recalés: cascadeur à Bollywood, il fallait l’imaginer! xD

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    • Hello ! Oui, moi aussi j’avais beaucoup aimé Asgard, il est rare que des fillers soient au niveau du fil officiel du manga, mais la TOEI avait fait du bon boulot, notamment en terme d’atmosphère et de musique associée. Mais comme un filler n’a pas vocation à être « important », on ne sait finalement pas grand-chose d’Asgard ce qui ouvre pas mal de possibilités si on décide de se pencher sur le sujet. Dès UDC, je savais que je traiterai Asgard un jour et avec NE, cela m’est apparu comme une évidence. Donc ca a été la fête au worldbuilding dont les subitilités à venir, j’espère, te plairont 🙂

      Le réchauffement climatique, et le climat en général, étaient déjà au coeur de l’anime : une fois encore, la base était déjà là, je me suis contentée de tirer le fil et de le développer à la lumière de notre époque actuelle. Je me suis toutefois efforcée de traiter le sujet avec les yeux de 2006 ; il m’a fallu faire quelques recherches afin de recaler le niveau de connaissance et de sensibilité avec l’époque où se déroule NE.

      Oksanna est en effet la fille de Dimitri, une enfant d’environ 5/6 ans. Et en effet-bis, Rachel n’est pas au courant. Quant à « l’historique » entre le Sanctuaire et Asgard, il est plutôt chargé XD Le Sanctuaire exerce traditionnellement la tutelle d’Asgard, laquelle s’est renforcée quelques cinquante années plus tôt suite à certains événements. Et comme dit dans le chapitre, les Asgardiens sont des gens fiers. Très fiers. Donc…

      Je te confirme que tu verras apparaître d’autres Asgardiens au fil des chapitres et tous auront leur rôle à jouer dans cette histoire :3

      Ah ah, oui, avec du cosmos, on peut *tout* faire comme boulot ! Pour le meilleur comme pour le pire…

      Un grand grand merci à toi pour ta lecture de cette histoire, j’espère que la suite continuera à te plaire !

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      • Re!

        Tout d’abord merci pour tes réponses à mes commentaires (je suis bien soulagée de voir que je ne déraillais pas en imaginant Saga en James Bond!).

        Je me suis rendu compte que j’avais oublié de mentionner quelque chose ici: j’ai trouvé très intéressante la manière dont Grisham justifie sa catégorisation du Sanctuaire en tant que menace. Parce qu’en effet, de son point de vue, elle est compréhensible. Saga traîne un certain nombre de casseroles, et en termes de relations publiques, y a du progrès à faire. Que le tout puisse faire soupçonner le pire à quelqu’un qui considère tout ça de l’extérieur, ça n’est finalement pas si étonnant… Une fois de plus, rien n’est tout noir ou tout blanc!:-) Et je suis fort curieuse de savoir qui peuvent être les éventuelles taupes rapidement évoquées…

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      • Ah ah, j’adore pouvoir échanger au travers des commentaires, donc ce sera toujours avec un grand plaisir !

        Concernant le point de vue de Grisham, j’ai, comme d’habitude, tâché de considérer les choses sous un angle réaliste (autant que possible :-p) : imaginons une situation similaire dans notre monde ? J’ai du mal à concevoir que les grandes puissances tolèrent l’existence d’un groupe dissident tellement puissant qu’il pourrait toutes les annihiler d’un claquement de doigt. Et effectivement, le CV de Saga est trop chargé pour que la confiance censée présider aux relations entre le Sanctuaire et le reste du monde ne puisse pas être remise en question. Grisham, toutefois, n’est pas le mec le plus sympathique de la Terre et le « bénéfice du doute » n’entre pas dans sa façon de considérer les choses, quand bien même le Sanctuaire vient de sauver les miches du monde. Au fond, Grisham transpose sur Saga sa propre conception des choses et n’imagine pas que Saga puisse réagir différemment : ça le dépasse totalement en fait XD

        Concernant les taupes, on en saura plus… beaucoup plus tard !

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  5. Et encore un excellent chapitre !

    Ce Grisham est détestable, mais, comme vous en avez déjà discuté Lily et toi, son point de vue est probablement légitime. Je suis assez curieuse de voir comment les relations CIA/NSA/armée US – Sanctuaire vont évoluer.

    J’ai beaucoup aimé le passage à Asgard. La référence au changement climatique -déjà tellement d’actualité en 2006, date à laquelle il y avait déjà eu trois rapports du GIEC (enfin il me semble) – est bien évidemment parfaitement bien trouvée et légitime. Et je suis encore une fois d’accord avec ce qui a été dit dans les précédents commentaires : ça résonne parfaitement avec l’anime en lui-même.
    Je trouve aussi ta façon de développer le personnage de Freya très intéressante, et sa relation avec Hagen fait vraiment plaisir à lire (encore un bel écho à l’anime d’ailleurs). Bon et les Megrez sont décidément toujours dans les mauvais coups. J’imagine qu’on finira par faire la connaissance d’Albérich. J’ai hâte, car je suis sûre qu’il sera très réussi sous ta plume.

    J’apprécie aussi beaucoup le rôle que tu fais jouer au Sanctuaire dans l’aide humanitaire. Car comment pourrait-il en être autrement ? J’ai trouvé le passage décrivant ce qui est arrivé aux Philippines très émouvant, surtout raconté par Aldébaran.
    Bon et bien évidemment, j’ai moi aussi eu un grand sourire en apprenant la nature de la reconversion de l’un des recalés du Sanctuaire : Cascadeur à Bollywood. Mais où es-tu allée chercher une idée pareille ? Cela dit, j’adore ! 😀

    Voilà, je crois que c’est tout pour l’instant. Et je vais poursuivre ma lecture tranquillement, en parallèle de ma lecture de ton petit bijou de Fragments.

    A bientôt !

    Phed’

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    • Et encore merci ! ❤

      Grisham apparaît dans UDC, juste avant le combat final contre les Portes, c'est lui qui donne l'ordre à Corman d'évacuer totalement ce qui impliquait de laisser le Sanctuaire totalement seul, sans aucun secours possible. Donc, oui, de base, le bonhomme n'est pas très sympathique : il espérait bien, à ce moment-là, être ainsi débarrassé du Sanctuaire. Donc je crois qu'on peut dire que ses intentions n'ont pas varié XD Les raisons non plus d'ailleurs : comme dit à Lily, il voit le Sanctuaire comme une menace intolérable et n'a aucune confiance en Saga (ce qui peut, effectivement, se comprendre XD).

      Je me suis cogné la lecture des dits rapports du GIEC ainsi que la synthèse annuelle entre 2003 et 2007 des catastrophes naturelles dans le monde XDDD (oui, il faut savoir que ce genre de documents existe, et sont rédigés par un organisme français. C'est pas beau, ça ?) Donc les événements évoqués ici, comme la catastrophe aux Philippines, ont effectivement eu lieu 🙂 Les changements climatiques nous parlent beaucoup actuellement et la difficulté a été pour moi de ne jamais perdre de vue que cette histoire se déroule en 2006, donc il y 15 ans. On en parlait déjà mais pas de la même manière ni avec la même récurrence et les réseaux sociaux, par exemple, commençaient tout juste à exister. Mais Asgard me fournissant le terrain de base, il m'a semblé logique d'aborder cette thématique qui va jouer un rôle non négligeable dans cette histoire.

      Concernant la relation Freyja/Hagen, j'ai pris le contrepied de l'anime : ça se passe mal pour eux dans l'anime alors j'ai voulu faire tout le contraire ici ! De plus, un peu de douceur dans ce monde de brutes ne peut pas faire de mal et je trouve qu'ils sont très bien assortis. Quant à Freyja, là encore, j'ai souhaité en faire un personnage qui ne soit pas la nunuche de service (faut dire que la VF n'a pas aidé…). De plus, l'anime montre que c'est elle qui prend l'initiative quand sa soeur tombe sous l'effet de l'anneau des Niebelungen, c'est juste qu'après, elle devient horripilante. Ici, j'ai voulu qu'elle ait de l'épaisseur, qu'elle soit consistante et aussi m'appuyer sur sa relation privilégiée avec Hilda.
      Quant à Albérich… ta rencontre avec lui ne saurait tarder :-p

      On sait que le Sanctuaire est impliqué dans les affaires du monde, ou du moins qu'il est en relation avec l'ONU comme vu dans UDC. Néanmoins, on sait aussi qu'il n'intervient pas dans les conflits strictement humains, le Sanctuaire est un petit bout de Suisse perdu en mer Egée : il reste neutre. Néanmoins, il est partie intégrante du monde et joue donc un rôle humanitaire, laissé à sa discrétion. Ce sont les Popes qui décident des interventions du Sanctuaire et ils n'ont aucun compte à rendre à qui que ce soit. Bien sûr, il peut arriver que certains pays sollicitent l'aide du Sanctuaire et chaque situation est d'abord analysée afin de s'assurer que l'aide en question n'est pas susceptible d'être instrumentalisée par exemple. Ceci vaut, en tout cas, pour l'image "officielle" du Sanctuaire vis à vis des Nations Unies.

      Aldé est chou, c'est un personnage que j'aime énormément et qui met vraiment de l'humanité au coeur du Sanctuaire. Et pour les anciens apprentis… si on a du cosmos, on peut tout faire, comme métier XDDD Contente que le résultat t'ait fait rire XDDD

      Encore une fois merci pour ton temps, merci pour ta lecture enthousiaste et au plaisir de te retrouver sur les chapitres suivants !

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  6. Hello Madame !

    Merci beaucoup pour tes réponses à mes précédents commentaires :D.

    Sérieux, tu as lu les rapports du GIEC ? Mais ça ne m’étonne pas de toi, tiens ! Et c’est drôle car… moi aussi je m’étais coltinée la lecture d’un rapport du GIEC pour ma première fic (celui de 2001), dont je cite d’ailleurs un passage dans l’un de mes chapitres (oui Madame, avec référence bibliographique à l’appui, si si si !). Par contre non, je ne savais pas qu’il existait des rapports publics énumérant les catastrophes naturelles. Et je suis curieuse : quel est le nom de cet organisme français qui en est l’auteur ? Bon mais je ne suis évidemment pas surprise que ces événements que tu mentionnes se soient réellement produits. Je commence à te connaître un peu… (ben oui ;-), et je n’avais donc aucun doute que tout cela était basé sur des faits authentiques et vérifiés. Et… j’adore ça ! 😀

    En ce qui concerne Freya/Hagen, dans mon souvenir ils se rabibochent un peu, non, au moment de sa mort dans l’anime ? Enfin il me semble que la blondinette pleure la perte de son ami d’enfance en tout cas. Cela dit, comme tu le sais déjà, ce n’est pas l’arc que je maîtrise le mieux (contrairement à toi), alors mes souvenirs sont peut-être biaisés par mon côté fleur-bleue 😉

    Et… le Sanctuaire, un petit bout de Suisse perdu en mer Egée ? Ah mais dis-donc ça à Lily, ça lui fera plaisir ! Car on a souvent débattu toutes les deux du manque de Suisses dans Saint Seiya (aucun perso n’étant d’origine Suisse, figure-toi, pas même le moindre petit Spectre de seconde zone !). Blague à part, je comprends parfaitement ton point de vue sur le côté « neutre » du Sanctuaire. Et encore une fois c’est assez drôle, car dans la fic mentionnée ci-dessus, j’avais aussi opté pour une position de ce genre, avec une implication « discrète » du Sanctuaire, sans intervention directe dans le cours de l’Histoire des hommes (et pour info, ma fic se passait en 2001… tu vois le genre ;-). Enfin tout ça pour dire que je comprends parfaitement, et que je partage ton point de vue à 100% !

    Bon et sur ce, je file reviewer le chapitre 3 que je viens de lire.

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    • Bien le bonjour, vous !

      C’est l’inconvénient d’être littéraro-scientique. Ou scientifico-littéraire. Je ne peux pas m’empêcher de vérifier ce que je veux raconter et comme mon objectif a toujours été, depuis 30 ans, d’inscrire ma vision des choses dans un cadre réaliste, je me dois donc de m’appuyer sur de vraies données autant que possible. A ce sujet, je regrette toujours amèrement mon amateurisme des débuts d’UDC car il y a beaucoup de points médicaux que j’aurais du vérifier à l’époque. Mais bon, ce qui est fait est fait, tant pis ! Toutefois, pas question de réitérer la même bêtise.

      Les docs publics en question émanent directement de l’actuel Ministère de la Transition Ecologique, et à l’époque où se déroule NE, sa désignation était Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’aménagement durable. Il s’agit de synthèses annuelles qui s’appuient elles-mêmes sur plusieurs sources, dont les instances représentatives des compagnies d’assurance. Il y a un focus sur la France mais aussi une revue générale des catastrophes naturelles dans le monde entier. C’est passionnant 😀

      Je t’avoue que cela me fait TRES plaisir que tu apprécies ce souci du détail car tout le monde ne le relève pas (ce qui se comprend, hein 😉 chaque lecteur se concentre sur des choses différentes, ce qui rend les échanges enrichissants !) et j’y passe pas mal de temps en fait. L’écriture c’est une chose mais le travail préparatoire en est une autre, qui prend tout autant de temps, voire plus sur certains sujets. Et comme je n’aime pas particulièrement que ce travail soit trop visible à la rédaction en mode « étalage », je fais en sorte que ce soit totalement dilué, voire anodin dans la narration. Donc quand on le remarque, c’est cool ! ^_^

      Oui, en effet j’ai moi aussi le souvenir que lorsque Hagen meurt, Freyja est à ses côtés et ça se termine certes mal mais ils se « retrouvent » à ce moment-là. C’est d’ailleurs de ce postulat que je suis partie en mode « what if » comme souvent : et s’ils formaient un couple heureux, pour changer ?

      Pas de Suisse ? *va checker SSP* Ah ben non, tiens, c’est vrai ! Si ça peut consoler Lily, les Saintia se sont a priori toutes entraînées en Suisse d’après ce que je vois.

      Disons que la neutralité du Sanctuaire, si on considère son existence dans notre monde, est une nécessité : sinon, cela reviendrait à réécrire l’histoire 🙂 (et ça ferait un super pitch by the way !) Marrant que tu évoques 2001 pour ta première histoire comme année de déroulement : dans UDC, je fais référence à l’avion qui a percuté le Pentagone (dont on a moins parlé que ceux du WTC) en parlant de la partie rénovée du bâtiment (puisqu’on est 3 ans plus tard). Je trouve ça vraiment chouette de disséminer des événements historiques dans nos histoires, et même plus que chouette, comme tu le verras (beaucoup) plus tard dans NE :3 Il y a d’ailleurs un auteur de fics qui fait ça admirablement bien (parce qu’il est passionné d’histoire), c’est Rincevent. Si tu as l’occasion, je te recommande vivement la lecture de ses OS.

      A tout bientôt !

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